
José Antonio Abreu : « L’aspect le plus misérable et le plus tragique de la pauvreté n’est pas le manque de pain ou d’un toit ; c’est le sentiment de n’être personne, le manque d’identification, le manque d’estime de soi. C’est pour cela que le développement de l’enfant dans l’orchestre et dans le choeur lui donne une identité noble et fait de lui un modèle pour sa famille et sa communauté. Il travaille mieux à l’école car cela lui inspire un sens de responsabilité, de persévérance et de discipline qui l’aide énormément. »La réforme des rythmes scolaires représente malheureusement l’exemple d’un socialisme trahissant l’idéal de progrès et de solidarité qu’il prétend défendre. Une fois de plus, l’intention affichée est bonne – allègement des journées à l’école, mise en place de temps d’activités périscolaires (TAP) pour l’éveil des enfants – mais sans fournir les moyens de l’appliquer : pas de définition claire du contenu, pas de formation des animateurs en fonction de ce contenu à communiquer, pas de moyens financiers. Comment en serait-il autrement, puisque par ailleurs le gouvernement a capitulé face au monde de la finance, laissant ainsi se refermer sur la société le piège de l’austérité budgétaire ?
Saisir l’occasion de la réforme des rythmes scolaires
La règle du jeu restant inchangée, cette bonne intention se retrouve noyée dans un océan d’incohérences et d’inégalités : on met le paquet dans certaines écoles afin d’en faire des « vitrines », tout en délaissant les autres, où l’on diminue le nombre d’animateurs périscolaires par enfant.Les agents spécialisés des écoles maternelles (ATSEM) étant mobilisés (sans avoir été formés) pour assurer les animations des TAP, le temps qu’ils consacrent habituellement au ménage se trouve réduit en conséquence, causant des problèmes d’hygiène, etc. Faute de moyens et de vision, le temps périscolaire est trop souvent conçu comme un fourre-tout par lequel on cherche à occuper le temps de l’enfant : musique, sport, théâtre, et même vernissage des ongles… Comme le déplorent les parents d’élèves de la ville de Paris, ces ateliers ont moins une vocation d’éducation que d’apprentissage : autrement dit, on cultive en surface, pas à l’intérieur.
Notre engagement, dans cette campagne des élections municipales, est d’apporter des pistes et des idées pour bâtir un nouveau vouloir vivre en commun, comme par exemple avec une opération culturelle « Amadeus », visant à élever chaque enfant à la dignité d’homme, quelle que soit son origine. Mais cela restera impossible tant que nous n’aurons pas fait sauter le verrou financier. La question est bien de permettre à l’Etat de financer sur le long terme les infrastructures de base, la recherche, la santé, les collectivités, et bien évidemment… l’éducation.
Éveiller l’enfant créateur dans un choeur social
En tant que membres du Conseil municipal de Rennes, nous nous battrons pour que notre ville devienne pionnière en mettant en oeuvre l’opération « Amadeus », telle que l’a défendue Jacques Cheminade lors de sa campagne pour les présidentielles de 2012. Ce projet s’inspire du projet vénézuélien « El Sistema » créé par José Antonio Abreu il y a 35 ans, dont l’objectif a toujours été de donner aux jeunes Vénézueliens défavorisés l’opportunité de découvrir la musique en leur permettant d’apprendre très tôt à jouer en orchestre d’un instrument de musique classique.
Grâce au soutien du programme par des fonds publics, le nombre de jeunes l’ayant intégré est aujourd’hui de 500 000. Des tentatives ont vu le jour dans certaines écoles françaises, comme à l’école Pierre Foncin à Paris, mais elles manquent des moyens et de l’ambition humaine nécessaires. Dans le contexte d’un nouveau système de crédit public, l’Etat redevenant chef d’orchestre et le ministère de la Culture son premier violon, le passage à la semaine de 4,5 jours et l’établissement du TAP en deuxième partie d’après-midi est une occasion à saisir pour lancer un grand projet ambitieux. C’est dans ce contexte que cette opération Amadeus verrait le jour à Rennes.
Cette opération mettra à disposition, dans le temps périscolaire, une structure située dans un lieu le plus proche possible de l’école (conservatoire, école de musique, opéra, maison de quartier, etc.). En effet, il est important pour les enfants, pour le rapport qu’ils ont avec leur professeur, mais également pour éveiller en eux le sens que l’activité périscolaire implique l’ouverture sur un nouveau monde, que les TAP se déroulent hors de la salle de classe. Dans cette structure, l’enfant pourra apprendre le chant et un instrument (ex : le violon), en intégrant tout de suite un ensemble, choeur ou orchestre, encadré par des professionnels comme les musiciens de l’Orchestre symphonique de Bretagne. La Mairie de Rennes pourra s’associer à celle de Fougères, où les élèves du collège Sainte-Marie expérimentent depuis octobre 2013 ce type de projet avec les professeurs de l’association Passeurs d’arts. La découverte de sa propre voix chantée et la maîtrise d’un instrument sont essentielles au développement de l’individu, car en produisant quelque chose de beau, il cultive en lui-même la joie de créer et l’estime de soi. La participation à un choeur ou un orchestre développe le sens de la citoyenneté : écoute et respect de l’autre, conscience de la relation d’intérêt mutuel entre l’individu et le groupe, notamment. En parallèle, la Mairie ouvrira aux enfants les « mercredis musicaux », ces après-midi où ils pourront assister à des concerts symphoniques, à des prix n’excédant pas 2 euros par enfant et 5 euros par adulte. Les musiciens pourront organiser des discussions pédagogiques avant ou après le concert, rendant ainsi accessibles les plus grandes oeuvres classiques qui, malgré l’intention originelle du compositeur, restent trop souvent réservées à une élite d’initiés.
Notre projet constitue une arme contre la culture de l’oligarchie dominante actuelle, qui réduit l’homme à un possesseur ou un consommateur instinctif. Il part en effet du principe qu’un enfant doit être vu comme un être en devenir, dans lequel l’idéal doit être cultivé non pas comme une belle formule sans aucune prise sur le réel (ce en quoi nos responsables politiques sont devenus des experts), mais comme un principe vivant transformant le réel, c’est-à-dire créant du lien social.
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