République ou finance toxique : L’Ille-et-Vilaine doit choisir

« Je n’en dors plus la nuit », se confiait le maire de Bruz dans les colonnes de Ouest France du 20 janvier dernier, témoignant de la catastrophe que représente l’explosion soudaine des intérêts de l’emprunt toxique contracté par sa commune en 2007.

Quelques jours plus tôt, la Banque nationale suisse abandonnait le cours plancher du franc suisse par rapport à l’euro, provoquant l’envolée de la monnaie helvétique.

Quel rapport avec la commune d’Ille-et-Vilaine ?

 Comme des centaines de collectivités françaises dans les années 2000, Bruz s’est vu proposer par les banques des emprunts dits « structurés », dont le taux d’intérêt pouvait varier selon différents indices financiers, notamment le taux de change euro-franc suisse. Le département d’Ille-et-Vilaine n’y a pas échappé, souscrivant pour au moins 100 millions d’euros de prêts, dont certains courent jusqu’en 2035 !

 En réalité, ces contrats ont fait des collectivités des acteurs du marché spéculatif international.

Dexia/Emprunts toxiques: Interview avec Hélène… par Solidarite_et_Progres

 Dans cette affaire, il ne s’agit pas d’une dérive isolée de la finance, mais bien de tout un système devenu toxique. Ce que révèle cette « nouvelle crise », c’est l’échec de la politique de sauvetage systématique des établissements financiers menée depuis 2008 par l’Union européenne, la BCE et les Etats.

 Au lieu de constater la faillite des grandes banques et de mettre en liquidation les branches mortes de la spéculation, on y a déversé des centaines de milliards et ce, sans aucune contrepartie. Au contraire, depuis 2007, le secteur ultra spéculatif des produits financiers dérivés a gonflé de 40 % pour atteindre le volume ahurissant de 1 million de milliards, soit plus de 10 fois le PIB mondial (richesse mondiale) !

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 La dernière tentative désespérée de sauver le casino remonte au 22 janvier dernier, avec la décision de la BCE de Mario Draghi d’injecter 1140 milliards dans le système bancaire. Par ce déferlement de liquidités, on cherche à diluer le poison sans en tarir la source : cash en masse et bulles financières à gogo.

 C’est la même fuite en avant qui avait conduit les gouvernements Sarkozy et Hollande à sauver la banque Dexia, principale émettrice d’emprunts toxiques aux collectivités. Le poison spéculatif avait cette fois été dilué avec l’argent du contribuable, en nationalisant la banque. L’Etat a pris en charge les dettes de Dexia en les transférant vers la Société de financement local (SFIL). 11 milliards ont été dépensés à ce jour et la nouvelle crise en cours va provoquer de nouvelles pertes pour la puissance publique.

 Plus pernicieux encore, pour sauver la banque devenue héritage national, le gouvernement a fait voter une loi de validation des emprunts toxiques. Les collectivités doivent ainsi renoncer à toute poursuite judiciaire à l’égard des banques, pour accéder à un fonds de soutien de 1,5 milliard créé par la SFIL et destiné à payer non pas les dettes, mais « seulement » une partie des indemnités de remboursement anticipé (IRA), dues au titre de la renégociation des contrats. Or, pour l’association APCET (Acteurs publics contre les emprunts toxiques), étant donné que « l’envolée du franc suisse va faire exploser les IRA, la mécanique du fonds ne tient plus et son modèle économique doit être révisé ».


Une juriste dénonce la validation des emprunts… par Solidarite_et_Progres

 L’asile financier

 L’Etat a accordé l’asile financier à un système devenu fou. En voici quelques exemples :

 Christophe Greffet, le président de l’APCET, rapporte que l’Ain, le département dont il est le vice-président, a contracté un prêt de 9,8 millions d’euros, dont les taux passeraient de 8,5 % à plus de 30 % du seul fait de l’envolée du cours du franc suisse ! Soit un surcoût de 2,5 millions d’euros.

Le maire d’Elven (Morbihan), Gérard Gicquel, rapporte que le taux d’intérêt de son encours « toxique » a grimpé en quelques jours de 13,70 à 26 %, soit une augmentation de plus de 130 % des intérêts à payer, qui passent de 300 000 à 700 000 euros.

 La communauté d’agglomération de Chartres (Eure-et-Loir), entre autres victimes, voit son taux d’intérêt passer de 21,9 %, ce qui est déjà énorme, à 44,20 %. Celui de la ville de Bruz (Ille-et-Vilaine) bondit de 15 % à 25 % et celui du Syndicat intercommunal pour la destruction des résidus urbains (SIDRU), basé à Saint-Germain-en-Laye (Yvelines) explose littéralement de 38,31 % à 65,61 %.

 Quand les fous sont faits rois

 A la Libération, la France s’est dotée d’un système bancaire régulé accompagnant l’essor des secteurs productifs et d’utilité publique. Un système de crédit public permettait de créer de la monnaie et d’irriguer les grands programmes de développement économique fixés par le pouvoir politique (infrastructures routières et ferroviaires, télécommunications, nucléaire, spatial, etc.). Les collectivités, elles, disposaient de la Caisse d’aide à l’équipement des collectivités locales (CAECL) pour un financement sûr et à bas coût. Cette dernière a été privatisée pour devenir le Crédit local de France (CLF), puis, par sa fusion avec le Crédit communal de Belgique, la banque Dexia.

 Celle-ci a alors adopté une stratégie agressive pour devenir un véritable leader du prêt aux collectivités. Privées de crédits publics et victimes de l’austérité budgétaire, ces dernières ont été appâtées par les taux d’intérêts attractifs proposés par Dexia. La nature hautement spéculative de ces produits a provoqué les conséquences que l’on sait.

 Bilan des comptes :

 Soit c’est l’Etat qui paye, soit ce sont les collectivités, soit ce sont les banques ! Face à ce dilemme et à l’ampleur du problème, il faut de solides principes pour trancher :

 - Seul le rétablissement de l’émission monétaire par une banque nationale permettra de résoudre durablement le besoin de financement des acteurs publics.

- Jamais les banques n’auraient dû être autorisées à concevoir et commercialiser de tels produits financiers et les communes à y souscrire.

- Le développement des pratiques commerciales de Dexia en particulier (dissimulation du TEG, méconnaissance ou absence d’information des clients sur les risques), sans avertissement de la part des autorités chargées de la surveillance du secteur bancaire, révèle un aveuglement complice tant politique que juridique.

 Cure républicaine :

 Comme le tract de S&P l’affirmait en 2013, pour gagner la guerre contre les emprunts toxiques, il faut exiger :

  1. la suppression de la loi n° 2014-844 du 29 juillet 2014, qui valide les emprunts toxiques en accordant une amnistie bancaire tout en muselant la contestation.
  2. l’interdiction formelle de tout crédit structuré aux collectivités locales. La SFIL doit fournir du crédit public à long terme et faible taux d’intérêt ;
  3. la création d’une vraie commission d’enquête sur la crise financière et les emprunts toxiques, disposant d’une indépendance suffisante et de pouvoirs d’instruction et de réquisition ;
  4. l’annulation des garanties apportées à Dexia par les Etats français (38,7), belge (43,7) et luxembourgeois (2,55 milliards d’euros) ;
  5. la scission bancaire, avec mise en œuvre d’une vraie séparation stricte des banques dans l’esprit du Glass-Steagall Act, comme le stipule la proposition de loi de Solidarité & Progrès, complétée par une vraie politique de crédit public.

 L’ Ille-et-Vilaine doit s’engager :

Comprenons-nous bien : si l’Ille-et-Vilaine ne semble pas avoir souscrit d’emprunts toxiques indexés sur le franc suisse, le département a contracté pour au moins 100 millions d’emprunts structurés indexés sur divers indices, allant pour certains jusqu’en 2035 !

Pour que les solutions présentées plus haut puissent aboutir, il est essentiel que les élus locaux se mobilisent. C’est pourquoi, si nous sommes élus, nous engagerons un audit de la dette du département et soutiendrons les communes dans leurs démarches visant à se libérer des contraintes dramatiques imposées par ce système toxique.

ExemplesEmpruntsStructurésI&V

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 Cet audit devra répondre aux questions qui déterminent l’avenir du département en matière de dette :

 - Que sont devenus les emprunts structurés du département (montants, échéances, etc.) ?

- Quels risques la gestion de ces emprunts représente-t-elle pour l’avenir (évolution des indices, coût des remboursements anticipés) ?

- Combien a coûté la procédure dite de « sécurisation » de certains emprunts effectuée par le département en 2007-2008, mentionnée dans le rapport de la chambre des comptes de Bretagne de septembre 2008 ?

 Cette démarche, pour ne pas se cantonner à une simple analyse de la dynamique de l’endettement, sera conçue comme un moyen de parvenir à un diagnostic clair, distinguant la partie légitime de la dette, celle qui doit être payée par le département, de celle correspondant à la dérive inhérente aux emprunts structurés et aux mécanismes de refinancement. Pour ce faire, il nous semble pertinent de recalculer le coût des emprunts à partir du capital initial de chacun, au taux fixe de 2 à 3 %, compte tenu du coût quasi nul du crédit (0,05 %) octroyé par la BCE aux banques. Ce montant, comparé aux surcoûts occasionnés par les emprunts structurés (intérêts, refinancement, restructuration…), permettra ainsi d’établir un critère de référence du trop perçu par les créanciers. Ne pas engager ce diagnostic reviendrait à capituler en acceptant encore davantage l’abandon de la place de premier plan (70 %) qu’occupent les collectivités en matière d’investissement public.

En octobre 2013, Solidarité et Progrès a réussi à faire adopter par le département, un vœu réclamant du gouvernement une loi de séparation stricte des banques de dépôts de celles qui spéculent. Aujourd’hui, l’Ille-et-Vilaine doit aller plus loin en engageant le combat et catalyser un mouvement parmi les collectivités afin de forcer le gouvernement à rétablir l’intérêt général, fondement de la République.

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  1. République ou finance toxique : Les élus doivent choisir - Entrez en Résistance - Mercredi 11 février 2015

    [...] le cadre de la bataille mené contre les emprunts toxiques. Je partage ici un point du programme de nos amis Fabien Ramel et Chérine Sultan candidats aux élections départementales dans le canton Rennes [...]

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